Faire briller l’argent

Pour faire parler un texte au premier coup d’œil, rien de mieux que l’illustration : son rôle est précisément de faire briller le texte. Il se trouve que Nicole Prieur, Philippe Depoorter et Étienne Eichenberger ont pour projet un livre sur l’argent. Aguerris aux multiples facettes de ce thème extrêmement complexe, ils croisent leurs domaines d’expertise respectifs pour lever le tabou et comprendre le rapport que chacun entretient avec cet objet de convoitise, notamment dans les sphères privées — familles, couples, fratries —, là où il est impliqué dans des enjeux relationnels souvent difficiles à saisir.

Quand l’illustration devient trésor

Le texte est écrit et il va falloir lui donner forme. En plus de concevoir une mise en page qui rende grâce à la structure du texte, nous décidons de l’enrichir avec plusieurs illustrations, environ quatre par chapitre, pour apprivoiser le lecteur, chatouiller son attention, créer une connivence. En effet, l’ouvrage est construit autour des nombreuses citations anonymes, issues des interviews réalisés sur le thème de l’argent auprès de personnes dont le patrimoine excède très largement la moyenne — le parti pris des auteurs étant de traiter le sujet par l’un de ses extrêmes pour le toucher avec encore davantage d’acuité. C’est ainsi que la finance, la philanthropie et la psychologie se rencontrent pour apporter un regard inédit et apaisé sur le sujet.

Imaginer des illustrations pour un sujet si sensible, quelle palpitante gageure ! Je me réjouissais de pouvoir faire appel à mon imagination pour transcender les clichés et inventer quelque chose qui n’existait pas encore : un insondable espace de créativité s’ouvrait devant moi… Plus exactement, devant nous, les trois auteurs et moi-même à qui ils avaient confié cette délicate tâche.

L’illustration a de précieuses fonctions. Dans le cadre de ce livre, elle avait pour but de créer un univers inédit, une atmosphère particulière qui installe une complicité entre le livre et son lecteur, une qualité proche de l’intimité puisque le sujet venait s’immiscer dans les représentations et toucher l’inconscient. L’argent étant un tabou, soumis aux effluves de chose cachée ou secrète, il fallait que les illustrations suggèrent au lecteur le voile qu’il allait pouvoir lever pour entrer dans un monde où lui serait révélé quelques vérités ou indices propres à le faire grandir.

De façon plus pragmatique, l’illustration venait aussi créer des ruptures dans le déroulé des chapitres, inscrivant au fil des pages un rythme fait d’intercalaires visuels, articulant et condensant le contenu pour l’amener à un autre niveau de compréhension. L’image devenait alors un point central, guidant l’œil et l’esprit du lecteur comme un fil rouge qu’il était invité à dérouler, soit lors d’une première prise en main du livre, soit au fur et à mesure de sa lecture.

Donner corps au livre

Parce qu’il fallait opter pour une typologie d’image, l’illustration prit spontanément le pas sur la photographie, car le registre avec lequel nous avions choisi de jouer serait d’ordre symbolique, voire légèrement onirique, et parsemé de touches humoristiques. Au départ, j’ai proposé des essais de collages réalisés à partir de gravures — traitement graphique raffiné qui rappelait les trames utilisées sur les billets de banque ; mais le côté passéiste de la gravure ne correspondait pas à la modernité du ton et du propos. J’étais donc à l’affut d’une nouvelle idée quand je suis tombée sur un livre illustré du romancier japonais Haruki Murakami qui trainait dans ma bibliothèque : son écriture étant très onirique, les illustrations avaient une qualité proche de celle que je recherchais et offraient au regard un univers mystérieux où plusieurs plans se rencontraient pour former une nouvelle réalité. C’est une loi de la nature : quand on cherche une solution, il y a nécessairement un moment où intervient la synchronicité, car l’esprit qui est à l’affut des moindres signes appelle les réponses.

Pour le format du livre, l’idée était qu’il soit facile à prendre en main et à glisser dans sa poche ou son sac à main. Philippe opta pour le format de la Pléiade et, pendant un temps, j’avais espéré pouvoir utiliser un papier extrêmement fin et doux comme celui de la célèbre collection. Malgré l’aide de l’imprimeur, il fut impossible de trouver un tel papier sur le marché et nous optâmes pour un couché plus épais, mais qui restait soyeux au toucher.

Quant à la mise en page, le parti pris fut celui de la sobriété : d’une part, il ne fallait pas surcharger la composition qui était déjà bien dense avec la présence forte des images ; d’autre part, le texte étant entrecoupé par d’innombrables citations, nous avons choisi de calmer le jeu en nous limitant à deux polices de caractère pour fluidifier la lecture. Ainsi, ma proposition d’utiliser une fonte plus moderne et contrastée pour le titrage ne fut pas retenue (elle n’a été gardée que pour la couverture et le numéro des chapitres). Cette concession se révéla, avec le recul, un choix judicieux. C’est tout l’art de la co-création que d’être à l’écoute de l’autre et de mettre l’égo en retrait au profit de la relation et d’une intelligence collective.

Et le propos prend vie

Pour résumer, les créations originales qui parsèment l’ouvrage sont issues de plusieurs choix qui ont été affinés et approuvés par les auteurs : illustrer les citations qui sont particulièrement parlantes et significatives ; privilégier le registre symbolique tout en apportant un style actuel ; créer des collages à partir de photographies qui se marient entre elles pour surprendre, intriguer, titiller, interroger, créer une prise de conscience ; utiliser le procédé de vectorisation qui permet de simplifier et de contraster les images, ce qui facilite le collage ; avoir comme composante principale un élément humain — visage, main, corps — pour aider le lecteur à s’identifier ; outre les pièces et billets, signifier l’argent avec des références plus symboliques comme la trame des visuels imprimés sur les billets, les chiffres projetés sur un écran, etc. ; travailler les images en trois tons directs pour avoir comme teinte principale un gris métallisé qui rappelle la couleur argent et dont la brillance varie selon l’inclinaison ou la lumière.

Faire appel à l’imagination, à la métaphore, au paradoxe, au symbole, entraîne un engagement actif du lecteur : il doit utiliser ses capacités de raisonnement et de jeu pour créer du sens dans son esprit, pour dépasser ses automatismes et ses jugements, pour s’amuser du lien entre l’image et le texte, et s’ouvrir à son imaginaire. Ceci contribue à renforcer le lien entre le livre et son lecteur, alors même que le propos des auteurs repose sur la question de la relation : relation à soi, à l’argent, au sens donné à sa vie.

Témoignage

Philippe Depoorter, co-auteur et fondateur du Family Practice de la Banque de Luxembourg

Nicole Prieur, co-auteur, psychothérapeute et créatrice de parolesdepsy.com

Étienne Eichenberger, co-auteur et associé du cabinet WISE Philanthropy Advisors.

Le livre en images

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L’ouvrage est disponible en cliquant sur ce lien.

L’argent, poison ou trésor ? Pour un usage apaisé de son argent de Nicole Prieur, Philippe Depoorter et Étienne Eichenberger, 132 pages, aux Éditions Ernster, imprimé par l’Imprimerie Schlimé à Luxembourg. Sommaire : L’argent peut-il rendre heureux ? ; L’argent, créateur de tensions ; Trouver l’équilibre ; Comment se construit le rapport à l’argent ? ; La transmission, moment de vérité ; Vers un usage apaisé de son argent.


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