« Une entreprise se décode comme une tribu de Mélanésie ou un village amérindien », explique Abdu Gnaba. Émérite anthropologue et sociologue, fondateur de l’institut Sociolab, Abdu accompagne les entreprises à évoluer en s’appuyant sur des méthodologies innovantes issues du champ des sciences sociales. Il débroussaille ainsi les mécanismes de l’entreprise et prend plaisir à décortiquer son socle, le mythe fondateur, pour mieux éclairer les valeurs et la vision portées par les collaborateurs. Voici quelques idées-clé captées lors de sa conférence chez MindForrest, agence de conseil spécialisée dans la gestion du changement.
- 1. L’entreprise se fonde sur les symboles de sa vision et les codes de sa tribu. C’est dans sa capacité à imaginer des possibles qu’elle peut avancer et rester ancrée dans un monde mouvant, voire turbulent.
- 2. Le nom donné au mouvement de la vie s’appelle « crise » : faire peur en brandissant le mot qui fâche aide à maintenir la pression et à stimuler l’adrénaline. Car Alice aux pays des merveilles l’a bien compris : pour rester à sa place, il faut courir très vite. Il en va de même pour les entreprises et les hommes.
- 3. Ce qui fonde la vie est le mouvement et son principe est l’adaptation. Pas de vie sans mouvement, ni changement. Pas de survie possible sans capacité d’adaptation.
- 4. De Darwin, il est entendu que la différence est source d’innovation. Plus facile à dire qu’à faire, car il n’est pas évident de tolérer à nos côtés quelqu’un de vraiment différent. La capacité d’adaptation se mesure à la possibilité d’inclure des acteurs au parcours et aux méthodes variés. C’est cette différence qui permet d’ouvrir des perspectives inédites.
- 5. L’entreprise repose sur un socle indispensable : le mythe fondateur. L’époque traverse de grands bouleversements et les nouveaux paradigmes changent la donne du tout au tout. Le travail, ou dur labeur qui permet de gagner sa vie, est fini. L’être humain est aujourd’hui appelé à devenir un missionnaire, celui qui répond à une mission fondée sur le sens, c’est à dire 1) une direction concrète, 2) une signification, 3) une expérience vécue à travers des sensations. Le missionnaire doit non plus gagner sa vie, mais réaliser sa mission ou vocation. C’est pour cela qu’il va à l’école (qui correspond à un loisir) ou continue de se former : ainsi il n’a plus à marcher dans les pas de ses parents. La nouvelle génération ne se déploie plus dans le champ du travail, mais dans la réalisation d’une œuvre : l’activité professionnelle sera au service du travail sur soi-même.
- 6. Le mythe fondateur est un récit qui porte les valeurs et le sens de l’entreprise et prend en compte tous les acteurs qui œuvrent en son sein. La fierté passe souvent par la réappropriation du mythe fondateur et par l’accès à la formation : continuer à apprendre, s’amuser, retrouver du sens, voilà ce qui sauve de la perte de l’emploi.
- 7. L’entreprise est régie par trois dimensions complémentaires : le corpus, l’animus et le spiritus. Le corpus, c’est le raisin, à savoir le produit ou le projet. Quand on presse le raisin, il en sort le jus : c’est l’animus ou énergie, ce qui circule dans l’entreprise, comme la culture ou les codes. Enfin vient le spiritus, ce qui reste inscrit dans l’éther : l’esprit, les valeurs, le sens. Pour avancer, l’entreprise a besoin de prendre en compte ces trois piliers avec la même attention. Le burn out est la réponse à un manque de dimension spirituelle : c’est pourquoi la notion de sens, voire de sacré, est indispensable à toute entreprise humaine.
Le monde a soif de sens et d’ouverture spirituelle : produire et fédérer ne suffit pas, il faut aussi parler à l’âme. Celle-ci se délecte de symboles et d’imagination, les attributs du mouvement. C’est à cette dimension et ouverture symbolique que j’œuvre en accompagnant les entreprises par le dessin.