Façonner un ouvrage « intelligent »

Façonner un ouvrage se fait dans le cadre d’une relation. C’est un nous qui, au travers du projet, déplie sur un espace inédit de création, comme une fenêtre ouverte sur un horizon encore inexploré. Passer d’un simple manuscrit à un objet graphique tangible se matérialise donc grâce à un processus, une sorte de voyage dont je suis le guide. Pour ce faire, je prends mon client par la main : il peut alors voir, de ses yeux, s’élaborer chaque étape de la création et prendre part au résultat induit par chaque choix graphique. Ainsi, j’interroge le sens avec lui, je dessine avec lui, je teste des principes graphiques avec lui, je peaufine la rédaction avec lui… C’est dans cet espace relationnel — et dans celui qui sépare intention et projet finalisé — que se façonne un ouvrage cohérent, limpide, qui ne ressemble qu’à lui-même.

Au commencement était le dessin

La mise en œuvre, dont je vais faire le récit, est celle d’une aventure collective, portée par l’auteur, mais aussi par l’équipe de BlueRep* qui a activement soutenu le projet, ainsi que par les contributeurs qui ont enrichi l’ouvrage de leurs réflexions. Le livre s’intitule L’entreprise, cet organisme vivant. Essai sur un leadership éveillé et a déjà fait l’objet d’un article dans lequel j’évoque comment cette expérience fondatrice a permis de modéliser les coproductions à venir.

J’ai fait la connaissance de Pierre en mai 2021. Entouré de William, Donovan, Bruno et Abdu*, Pierre avait le projet d’éditer un livre sur sa longue expérience de conseil et de dirigeant. Son texte proposait des pistes de réflexion et des exemples pour relever les défis actuels de l’entreprise en prônant la croissance par division cellulaire — et non par l’organisation pyramidale —, ainsi qu’un leadership éveillé, porteur de sens. Son livre était divisé en trois parties : les concepts, les outils et les contributions spontanées d’experts réceptifs.

Au départ, Donovan avait pensé me faire intervenir principalement pour illustrer les propos du livre par des sketchnotes tels qu’il m’avait vu les pratiquer. J’ai donc proposé à Pierre une dizaine de séances d’échange, pendant lesquelles il m’expliquait chaque concept étayé dans son livre. Tout en l’écoutant, je dessinais ce que ses explications m’inspiraient, avec l’intention de les rendre visuellement compréhensibles. J’ai ensuite repris chaque dessin pour mieux le structurer, l’équilibrer, le peaufiner, tout en veillant à conserver la spontanéité, la légèreté — et même l’humour — de ce qui avait été esquissé lors de nos échanges. 

*BlueRep est composé de William Lebedel, Bruno du Teilleul, Donovan Hawker et Abdu Gnaba.

Le choix du contraste

Au moment où je travaillais aux illustrations, j’ai réfléchi avec Bruno à la mise en page de l’ouvrage pour que dessins et graphisme s’accordent. Nous avons vite convenu que le noir et blanc mettait en valeur le côté pratique, singulier et tranché de l’ouvrage : celui-ci n’était pas un énième livre sur le leadership, mais un objet collaboratif, un work in progress inventif, posant des principes et ouvert aux réflexions ou conversations à venir. C’est pourquoi, dans le même esprit, des pages de notes vierges sont venues clore chaque chapitre.

L’autre principe directeur était la notion d’organique. Les fondements qui régissent les concepts de Pierre se doivent d’être reliés au vivant, à ce qui évolue librement et traverse des états changeants, à ce qui est courbe ou rond — et non carré. Ainsi, j’ai choisi de composer le texte en fer à gauche — et non selon une justification bien linéaire et rigide.

Dans la mise en page, j’ai opté pour des principes graphiques très contrastés : couverture noire versus intérieur blanc ; dessin spontané, libre, versus mise en page articulée, structurée ; titres gras, puissants, aérés, versus texte léger, dansant, dense. Le texte est librement animé par les nombreux niveaux de lecture : phrases mises en exergue, mots mis en valeur de différentes façons, exemples qui illustrent le propos mis en retrait et en italique… Le tout crée une impression de désordre organisé foisonnant, vivant, propre à la nature.

Le vivant danse et chahute

Une couverture se doit d’être remarquée et j’avais imaginé me servir d’un de mes sketchnotes expressif pour créer un effet visuel fort. Sur les trente-cinq illustrations que contient le livre, seule une image — celle qui a été retenue — était suffisamment synthétique et parlante pour attraper le regard et s’insérer sur la couverture. Je l’ai agrémentée d’éléments organiques et dynamiques pour accentuer le coté vivant du propos, tout en calmant le jeu avec une typographie sobre pour le titre, le tout s’entremêlant joyeusement.

À propos de typographie : pour un néophyte, elles se ressemblent toutes plus ou moins ; pour moi, trouver les bonnes associations typographiques peut prendre des journées entières. Suivant le dessin des lettres et la façon dont celles-ci composent un titre ou un pavé de texte, l’énergie qui s’en dégage — de façon imperceptible — est très différente. L’énergie de la lettre doit correspondre au propos de l’auteur, lui emboiter le pas et former un tout. Celle choisie pour composer le livre de Pierre est sobre (sans empattements), verticale (ancrée), mais légère et subtilement dansante.

Ce travail d’harmonisation a contribué à garantir une cohérence imparable, à donner une colonne vertébrale à l’ensemble ; aussi bien au niveau du contenu que de son aspect visuel, voire de l’expérience ou de l’usage induits. Ainsi, certains textes ont été revus, réécrits ou ajoutés, pour coller davantage à la vision fluide, vivante et ancrée du projet. Car le texte, lui aussi, est vu avant d’être lu : les lettres sont des formes visuelles, elles guident par la structure qui les sous-tend, par leur signification et la façon dont elles sont assemblées, par le rythme du phrasé, par la ponctuation, etc. De même, pour le papier choisi parmi les maigres options de la plateforme d’auto-édition, il répond à l’intention de faire de ce livre un cahier de réflexion sur lequel le lecteur peut noter ses impressions et idées — et non un bel ouvrage, à consulter délicatement.

Un processus par essai-erreur « de visu »

Au cours de cette mise en œuvre, chacune des propositions visuelles a été testée, discutée, revue à la baisse ou la hausse. Je travaille toujours la conception d’un ouvrage en présence de son auteur pour lui montrer, en temps réel, comment certains choix graphiques et typographiques créent une tout autre impression, façonnent une expérience différente. C’est cette expérience que je partage et transmets, de visu, pour amener l’auteur à prendre conscience des incidences de chaque principe visuel. On dit que le diable se loge dans les détails… Tout en restant fixé sur la vision d’ensemble et le sens — et sans se perdre dans l’insignifiant —, ce sont bien ces subtilités, ces aspérités, qui font la différence et la singularité d’une proposition graphique. 

Ces nombreux choix graphiques obéissent donc à une justesse qui s’élabore la main dans la main avec l’auteur, au fur et à mesure et sans idée préconçue, pour aboutir à un ouvrage unique, qui ne ressemble qu’à lui-même — car c’est ainsi que Pierre le qualifie. Une relation d’indéfectible confiance s’est nouée au cours de ce processus et le résultat dépasse tout ce que Pierre et l’équipe de BlueRep pouvaient espérer. Le lien est infiniment précieux : lui seul permet de faire corps pour mieux mettre en œuvre.

Témoignage

Pierre Cacoub, conseil, dirigeant et auteur

Le livre en images

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L’ouvrage est disponible sur The Book Edition en cliquant sur ce lien. Également directement disponible sur Amazon, la Fnac, Rakuten ainsi que sur commande en librairie (réseau Dilicom).


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