Vérité et réalité

Qu’est-ce que la vérité ? Connaissance de soi et du monde, principes universels, conscience, cohérence, réalité, liberté, libre-arbitre, prendre soin de l'être et du vivant.
Un moment inspirant de vérité.

L’autre soir, j’ai assisté à la représentation de l’opéra « La clémence de Titus » donnée à la Philharmonie de Luxembourg avec la magnifique Cecilia Bartoli. C’est mon amie Luisa, chanteuse lyrique, qui m’y a entraînée. En arrivant, elle m’explique que la soprane qui devait tenir le rôle de Vitellia est tombée malade le jour même et que son ami, le chef d’orchestre Gianluca Capuano, nous attend avant de monter sur scène. C’est ainsi que j’ai traversé la scène et arpenté les coulisses avec Luisa pour retrouver Gianluca : ensemble, nous sommes sortis fumer une cigarette et avons gentiment bavardé. Gianluca était d’un calme absolu tandis qu’il nous expliquait que, pour palier à l’absence de la soprano, les autres chanteuses avaient accepté de reprendre sa partition à tour de rôle.

Je n’ai jamais été aussi absorbée et envoûtée par la beauté d’un opéra et son interprétation. J’avais oublié l’intrigue et lire les sous-titres me détournait de l’essentiel : je restais le regard et l’oreille collés aux musiciens, aux chanteurs, au chœur, à leurs sonorités et moindres mouvements, à leur performance si vraie et incarnée. Il y avait une telle cohérence, une telle complicité palpable entre tous que la musique était rendue belle, vivante… Était-ce le défi de reprendre un répertoire au pied levé par les trois chanteuses qui nous a tous tenu en haleine ? Le spectacle fut grandiose, mené tout en finesse, en douceur même, et l’éloquent final n’en fut que plus majestueux. 

J’étais heureuse – de ce bonheur enfantin, émerveillé ! – de partager ce moment avec Luisa qui m’avouait avoir la chair de poule tout du long quand elle écoutait Cecilia chanter. Elle était également émue par l’attention avec laquelle Gianluca dirigeait l’orchestre en s’adaptant aux inflexions de Cecilia pour la mettre en valeur. Luisa m’a raconté qu’il était alors chef de chœur quand Cecilia avait viré le chef d’orchestre et réclamé que ce soit Gianluca qui dirige l’orchestre. Depuis, elle ne veut que lui et il est son chef attitré.


Ce soir-là, j’ai vécu un moment de vérité. Musical, complice, émotionnel, visuel… La vérité est ce qui est vécu à un instant t et s’accompagne de conséquences, modelant ainsi le futur. C’est un mélange de densité et de légèreté. Un mouvement qui emporte et laisse une trace indélébile. Une expérience qui permet à quelque chose de se révéler et qui donne un sens à ce qui est vécu. La vérité est ce qui est ou à été : un fait, un évènement, qui peut se décrire selon les différents plans physiques de notre réalité. La vérité est faite de liens concrets, réels, qui se gravent dans la chair ou la matière.

La musique a participé à créer cette expérience, car elle est entrée dans mon corps et a provoqué une trajectoire unique, une série d’émotions et de pensées enthousiastes. La musique sert à créer de la beauté. Elle peut aussi servir à manipuler les esprits. Tout est question d’intention et de niveau de conscience.

Qu’est-ce que la vérité ? Connaissance de soi et du monde, principes universels, conscience, cohérence, liberté, libre-arbitre, prendre soin de l'être et du vivant.

Ce qui fonde la réalité

D’après le dictionnaire, la vérité est une connaissance conforme au réel, à ce qui est ; une adéquation entre la réalité et l’homme qui la pense, ce à quoi l’esprit peut et doit donner son assentiment… Réalité, raison, interprétation ? De là à confondre réalité et science — ce soi rationnel objectif —, il n’y a souvent qu’un pas, car les progrès de la science en viennent à imposer le rationalisme comme référence de pensée tandis que les vérités issues de l’expérience sont minimisées, discréditées. Or, en philosophie, le réel auquel se réfère la vérité balance entre immuable (héritage grec) et mouvant (vision orientale).

La réalité désigne l’ensemble des phénomènes considérés comme existant dans les faits, ce qui est physique, concret — par opposition à ce qui est imaginé, rêvé ou fictif. Étymologiquement, le nom féminin « realité » vient du latin médiéval realitas, du latin classique realis, de res, « chose ». D’abord reellité (vers 1290), puis realté (XIVe siècle) et réalité (vers 1550), realitas correspond à « bien, propriété » (vers 1120) et, dans l’usage scolastique, le terme désigne le « caractère réel » de quelque chose ou de quelqu’un.

Dans le monde des concepts philosophiques, les visions s’affrontent : le réel n’est-il rien d’autre que ce qui nous apparaît — la manifestation sensible chère à Kant étant uniquement d’ordre phénoménal et la chose en soi se révélant inconnaissable — ou est-il le monde de l’archétype parfait, c’est-à-dire l’idée qui est à l’origine des choses manifestées — pour Platon, l’apparence sensible, ce monde physique, fugace et changeant dans lequel nous évoluons, est une forme d’illusion ou d’imperfection par rapport au monde parfait des idées qui en permet la connaissance.

Le réel peut aussi être pris pour « tout ce qui existe » — le philosophe Karl Popper découpe le réel en trois mondes : celui des objets physiques, vivants ou non ; celui des ressentis et des vécus, conscients et inconscients ; celui des productions objectives de l’esprit humain, des objets comme des théories ou œuvres d’art.

Certaines définitions donnent à la réalité des qualités indubitables : Richard Dawkins, célèbre académicien britannique, la définit comme « ce qui peut rendre les coups » (« Reality is what can kick back »), le seul critère qui permet de la distinguer, sans discussion possible, de l’illusion ; pour l’écrivain Philip K. Dick, « la réalité, c’est ce qui continue à s’imposer à vous quand vous cessez d’y croire » («Reality is that which, when you stop believing in it, doesn’t go away»). C’est ce caractère affirmé de permanence et d’impact concret transmis par la connaissance cachée qui m’a donné envie de partager avec vous ce voyage au pays de la vérité.

L’essentielle quête de vérité

Nous sommes fortement influencés par les nombreuses références et idéologies, les subtils jugements implicites qui nous ont construits. Prendre conscience des préalables véhiculés par notre propre culture, des nombreuses images matraquées à longueur de journée, c’est la condition nécessaire pour les déconstruire et poursuivre inlassablement la recherche de vérité.

Ainsi, dans la lignée qui fonde nos représentations, on prône la stabilité, l’immuabilité, l’éternité. Cette qualité immuable qui définit la vérité est traduite, en philosophie, soit en l’élevant à une valeur suprême — pour Platon, seule est réelle l’idée du bien absolu, tandis que Descartes prône la raison comme filtre de connaissance du monde et juge ultime du vrai ; soit en la manifestant à travers un processus — chez Héraclite, la vérité est dévoilement, émanant de l’ombre qui met à nu les reflets ou illusions afin de faire ressortir la vraie lumière… car « dès qu’on ose délaisser un moment les représentations traditionnelles sécurisantes, l’émerveillement vient » ; soit en la confrontant à l’interprétation ou à la déconstruction — Nietzsche la soumet à deux forces très puissantes, la recherche de vérité et la volonté de vérité que nous sommes — ; soit en l’individualisant — Heidegger associe l’être au devenir, la vérité étant ce qui est en train de se vivre par un sujet conscient…

Dans la pensée orientale, la réalité est mouvante et sujette à une perpétuelle transformation, des formes se substituant sans cesse à d’autres. La vérité, c’est suivre et guetter les variations du présent pour mieux s’y adapter, c’est être en accord avec le cours des choses — et non l’illusion de courir après des formes fixes. Parce que tout est changement, il est impossible d’ériger des modèles, des identifications, des abstractions comme nous le faisons aisément en Occident.

Qu’en est-il alors ? S’il est une connaissance qui donne des éléments de réponses concrets, qu’attendons-nous pour distinguer le vrai du faux, pour mettre en lumière les nourritures essentielles à notre prise de conscience et épanouissement ? « C’est l’héritage légué à tous les hommes de se connaître eux-mêmes et de vivre dans la clarté », énonce Héraclite. Nous avons tous la capacité de reconnaître le vrai, car nous sommes la vérité elle-même. C’est cette vérité qui se cherche dans ce qui prend forme dans notre vie, nos pensées, nos paroles, nos actes…

Dans ce monde projeté qui essaie de nous distancer les uns des autres et qui encense le mensonge*, cultivons le lien, le vrai et le beau, plus que tout au monde : ainsi reconnaître la vérité devient une nécessité, celle de notre liberté — comme la musique ce soir-là pour moi. Car personne ne peut décider à notre place ce qui constitue une nourriture essentielle. N’obéissons qu’à notre vérité intérieure – celle issue de la connaissance profonde, de l’expérience et de l’apprentissage, de l’humilité – et à rien ni à personne d’autre.

*Le peu que j’ai compris ces dernières années, c’est que je ne sais pas grand chose. Car ce qui m’a été enseigné, depuis mon enfance et tout au long de ma vie, s’est révélé, en grande partie, soit faux, soit incomplet. Mon petit doigt me dit maintenant que, quand on nous demande de regarder dans une direction, c’est souvent à rebrousse-poil ou en s’en allant à contre-courant que nous nous approchons de la vérité. Il faut ainsi souvent « renverser » ce qui est proclamé sous le nom de « savoir », de « science » ou d’« information », pour le remettre à l’endroit.


Qu’est-ce que la vérité ?

« Qu’est-ce que la vérité ? » est une série de vingt-quatre articles pour déterminer ce qui fonde la vérité… Vingt-quatre parce que « La photographie, c’est la vérité, et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde », dixit Jean-Luc Godard. La vérité, cette valeur essentielle, se rapporte à la réalité, à la connaissance de soi et du monde, à la conscience, à la loi naturelle et ses grands principes, à la liberté et au libre-arbitre, à la responsabilité… Toutes ces notions sont essentielles pour trouver notre véritable place dans un univers qui, malgré ses dissonances, nous ramène à l’unité et à faire corps.

Découvrez les vingt-quatre articles, les mots et les images qui les éclairent en passant du récit à l’essence des choses, pour vous guider à définir ce qu’est la vérité de façon personnelle et instinctive.


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